Page:About - Causeries, deuxième série.djvu/35

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doute en quatre ou cinq ans, si elle va souvent se promener avec son frère ! Il n’y a pas de cicérone plus ferré sur le personnel, les mœurs et les finances du monde inférieur que ces belles innocentes aux yeux purs, aux lèvres dédaigneuses. Elles connaissent les noms, les chevaux, les livrées et trop souvent les aventures de Mlle Bichette et de ses amies. Elles savent que celle-ci est très-drôle et celle-là bête comme ses pieds que l’une a de l’argent placé et que l’autre est criblée de dettes ; elles ont la mémoire farcie de descriptions fort exactes où les élégances ruineuses de ce singulier monde sont détaillées par le menu. Grâce aux renseignements d’un petit bonhomme de frère, elles peuvent vivre en esprit dans cette Amérique parisienne où l’on n’a qu’à s’abaisser pour prendre l’or à poignée.

À force de voir passer et repasser devant elles le vice triomphant, heureux et même honoré ; à force de voir les hommes les plus distingués par la naissance, le rang et la fortune, rendre des soins publics à Mlles Coco, Bichette et Tata, elles perdent bientôt ce dégoût salutaire qui leur soulevait le cœur au spectacle de la prostitution. Dans le monde honorable qui les entoure, elles voient chaque matin un jeune homme affiché par les mœurs les plus scandaleuses épouser une innocente comme elles ; elles n’ont pas le droit d’espérer que, quand leur