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CAUSERIES.

mort inattendue et presque foudroyante d’un de nos peintres les plus admirés : que de choses dans un mois ! N’est-ce pas trop d’événements ? il n’en restera plus, je le crains, pour le courant de l’année.

Je connaissais un peu Delacroix, pour l’avoir rencontré dans le monde et pour avoir échangé quelques lettres avec lui. C’était un homme vraiment distingué, d’une laideur intelligente et sympathique, d’un esprit fin, actif, inquiet, d’un caractère bienveillant et triste. Il avait eu des commencements difficiles ; son teint légèrement terreux, ses yeux ardents au fond de leurs orbites, sa moustache mutilée, tout en lui me donnait l’idée d’un lion qui est resté longtemps en cage. Songez que l’année même où il exposa la Barque du Dante, il avait été refusé pour le concours de figure à cette ingénieuse École des Beaux-Arts. Il était ambitieux, plus ambitieux, selon moi, qu’il ne convient à un homme de génie. Les palmes de l’Institut et les niaiseries de ce genre l’empêchèrent longtemps de dormir. Du temps qu’il aspirait à devenir le confrère de M. Picot, il signait à la Revue des Deux-Mondes : Eugène Delacroix, membre de l’Académie des Beaux-Ans d’Amsterdam. Il a fini par entrer à l’Institut de Paris, et même, si je ne me trompe, au Conseil municipal de M. Haussmann : luxe inutile et compromettant à notre époque. Comme peintre, il a fait une demi-