Page:About - L’Homme à l’oreille cassée.djvu/194

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les discours qu’il tiendrait à l’Empereur, s’endormait au milieu d’une phrase et s’éveillait en sursaut, croyant tenir une idée qui s’évanouissait soudain. Il éteignit et ralluma vingt fois sa bougie. Le souvenir de Clémentine se mêlait de temps à autre aux rêveries de la guerre et aux utopies de la politique ; mais je dois avouer que la figure de la jeune fille ne sortit guère du second plan.

Autant cette nuit lui parut longue, autant la matinée du lendemain lui sembla courte. L’idée de voir en face le nouveau maître de l’Empire l’enivrait et le glaçait tour à tour. Il espéra un instant qu’il manquerait quelque chose à sa toilette, qu’un fournisseur lui offrirait un prétexte honorable pour ajourner cette visite au lendemain. Mais tout le monde fit preuve d’une exactitude désespérante. À midi précis, le pantalon à la cosaque et la redingote à brandebourgs s’étalaient sur le pied du lit auprès du célèbre chapeau à la Bolivar.

« Habillons-nous ! dit Fougas. Ce jeune homme ne sera peut-être pas chez lui. En ce cas je laisserai mon nom, et j’attendrai qu’il m’appelle. »

Il se fit beau à sa manière, et, ce qui paraîtra peut-être incroyable à mes lectrices, Fougas, en col de satin noir et en redingote à brandebourgs, n’était ni laid, ni même ridicule. Sa haute taille, son corps svelte, sa figure fière et décidée, ses mouvements brusques formaient une certaine harmonie avec ce