Page:About - L’Homme à l’oreille cassée.djvu/257

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beille d’héliotropes, étalée sous la fenêtre de gauche, était dans tout son beau. Le soleil appliquait à toutes les grappes de la treille une couche d’or bruni ; le grand yucca de la pelouse, agité par le vent comme un chapeau chinois, entre-choquait sans bruit ses clochettes argentées. Mais le fils de M. Renault était plus pâle et plus flétri que les rameaux des lilas, plus abattu que les feuilles du vieux cerisier ; son cœur était sans joie et sans espérance, comme les groseilliers sans feuilles et sans fruits !

S’être exilé de la terre natale, avoir vécu trois ans sous un climat inhospitalier, avoir passé tant de jours dans les mines profondes, tant de nuits sur un poêle de faïence avec beaucoup de punaises et passablement de mougiks, et se voir préférer un colonel de vingt-cinq louis qu’on a ressuscité soi-même en le faisant tremper dans l’eau !

Tous les hommes ont éprouvé des déceptions, mais personne à coup sûr n’avait subi un malheur si peu prévu et si extraordinaire. Léon savait que la terre n’est pas une vallée de chocolat au lait ni de potage à la reine. Il connaissait la liste des infortunes célèbres, qui commence à la mort d’Abel assommé dans le paradis terrestre, et se termine au massacre de Rubens dans la galerie du Louvre, à Paris. Mais l’histoire, qui nous instruit rarement, ne nous console jamais. Le pauvre ingénieur avait