Page:About - Le Fellah, souvenirs d'Egypte, 1883.djvu/28

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aux moins pauvres de la bande, mais aucun de ceux-là ne voulait quitter le pays. Il faut vous dire que les petits fellahs ont une peur horrible de vous autres, et c’est un peu la faute des messieurs en chapeau qui viennent se promener chez nous. Je craignais d’arriver chez une nation d’ogres ; cependant je pris mon grand courage, et je livrai ma tête aux cavas de la préfecture, qui sont, ou peu s’en faut, les gendarmes du pays. Ma mère m’avait donné une amulette contre les mauvais sorts et mon père un bâton de six pieds contre les messieurs en chapeau ; je porte encore l’amulette, mais ce n’est plus que par une superstition du cœur.

— En vérité, lui dis-je, vous avez joliment employé vos quatre ans !

Il secoua la tête : — Non, pas trop. La préparation et surtout la direction m’ont manqué. J’aurais dû savoir le français avant de débarquer en France et l’anglais avant de partir pour l’Angleterre. Il a fallu apprendre deux langues au début, et deux langues qui n’ont aucune parenté avec la mienne. On m’a fait étudier tant de choses qu’il était malaisé d’en approfondir aucune. Songez donc à ce que nous sommes en arrivant chez vous, et tâchez de vous représenter le dénûment absolu d’un esprit tout neuf ! Nous avons ici de bons maîtres, et le gouvernement de Son Altesse ne ménage rien pour notre instruction, mais les intermédiaires nous imposent tantôt une vocation, tantôt une autre, selon le vent qui souffle au bord du Nil. On m’a mis successivement à la médecine, au droit, à l’agriculture, à la chimie, à la mécanique et même, Dieu me pardonne ! à la fortification !