Page:About - Le Fellah, souvenirs d'Egypte, 1883.djvu/30

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place. Nous le vîmes grandir, et la flamme jaillit de ses yeux.

— Une fonction ? dit-il ; oui, madame. Si c’est une fonction que de nourrir, d’éclairer et de vêtir le genre humain, le fellah est un fonctionnaire aussi haut placé pour le moins que vos préfets et nos moudirs, dont l’Angleterre est privée et dont elle se passe avec joie. Celui qui du matin au soir et tout le long de l’année fonctionne à tour de bras pour produire le blé, l’huile, le sucre et le coton, qu’il s’appelle laboureur en français ou fellah en arabe, mérite plus de reconnaissance que les ventrus parqués dans un herbage officiel.

« Quant à vous dire si son titre est assimilable aux marquisats de l’Europe, je me déclare incompétent. Qu’est-ce que la noblesse ? Si j’accorde à Boileau et à notre ex-sultan Bonaparte qu’elle n’est pas une chimère, ils m’accorderont à leur tour qu’elle est une fourmilière de contradictions. Presque tous les héros du moyen âge ont gagné leurs éperons par des exploits qui ressortiraient aujourd’hui à la cour d’assises ; on s’honore d’avoir pour ancêtre un homme qu’on répudierait dans les journaux, s’il était vivant. On étale avec orgueil le portrait d’une aimable aïeule qui fit les délices d’un roi ; on irait se cacher au fond d’un trou, si on l’avait pour mère, ou pour sœur, ou pour femme. La noblesse s’est vendue argent sur table depuis la fin du xviie siècle ; on se pare d’un titre vénal, et l’on mourrait de honte si l’on était convaincu d’avoir payé la croix du Saint-Sépulcre. Vous criez sur les toits que le mérite personnel doit passer avant tout, mais vous prisez d’autant plus la noblesse qu’elle est plus an-