Page:About - Le Roi des montagnes.djvu/181

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ma digue, et tout novice que j’étais, le ruisseau fut solidement barré en quarante-cinq minutes : il était une heure moins un quart. Au bruit de la cascade succéda un silence profond. La peur me prit. Je réfléchis que le Roi devait avoir le sommeil léger, comme tous les vieillards, et que ce silence inusité l’éveillerait probablement. Dans le tumulte d’idées qui me remplissait l’esprit, je me souvins d’une scène du Barbier de Séville, où Bartholo s’éveille dès qu’il cesse d’entendre le piano. Je me glissai le long des arbres jusqu’à l’escalier, et je parcourus des yeux le cabinet d’Hadgi-Stavros. Le Roi reposait paisiblement aux côtés de son chiboudgi. Je me glissai jusqu’à vingt pas de son sapin, je tendis l’oreille : tout dormait. Je revins à ma digue à travers une flaque d’eau glacée qui montait déjà jusqu’à mes chevilles. Je me penchai sur l’abîme.

Le flanc de la montagne miroitait imperceptiblement. On apercevait d’espace en espace quelques cavités où l’eau avait séjourné. J’en pris bonne note : c’étaient autant de places où je pouvais mettre le pied. Je retournai à ma tente, je pris ma boîte, qui était suspendue au-dessus de mon lit, et je l’attachai sur mes épaules. En passant par l’endroit où nous avions dîné, je ramassai le quart d’un pain et un morceau de viande que l’eau n’avait pas encore mouillés. Je serrai ces provisions dans ma boîte pour mon déjeuner du lendemain. La digue tenait bon, la brise devait avoir séché ma route ; il était tout près de deux heures. J’aurais voulu, en cas de mauvaise rencontre, emporter le poignard de Vasile. Mais il était sous l’eau, et je ne perdis pas mon temps à le chercher. J’ôtai mes souliers, et je les liai