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Page:About - Le Roi des montagnes.djvu/197

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orteils et produisit une sensation aiguë et lancinante, qui frisait toute la partie antérieure du corps et me fit croire un instant que l’extrémité du bâton était venue me retrousser le bout du nez. C’est à ce moment, je pense, que le sang jaillit pour la première fois. Les coups se succédèrent dans le même ordre et aux mêmes places, à des intervalles égaux. J’eus assez de courage pour me taire aux deux premiers ; je criai au troisième, je hurlai au quatrième, je gémis au cinquième et aux suivants. Au dixième, la chair elle-même n’avait plus la force qu’il faut pour se plaindre : je me tus. Mais l’anéantissement de ma vigueur physique ne diminuait en rien la netteté de mes perceptions. J’aurais été incapable de soulever mes paupières, et cependant le plus léger bruit arrivait trop à mes oreilles. Je ne perdis pas un mot de ce qui se disait autour de moi. C’est une observation dont je me souviendrai plus tard si je pratique la médecine. Les docteurs ne se font pas faute de condamner un malade à quatre pas de son lit, sans songer que le pauvre diable a peut-être encore assez d’oreille pour les entendre. J’entendis un jeune brigand qui disait au Roi : « Il est mort. À quoi bon fatiguer deux hommes sans profit pour personne ? » Hadgi-Stavros répondit : « Ne crains rien. J’en ai reçu soixante à la file, et deux jours après je dansais la Romaïque.

— Comment as-tu fait ?

— J’ai employé la pommade d’un renégat italien appelé Luidgi-Bey… Où en sommes-nous ? Combien de coups de bâton ?

— Dix-sept.

— Encore trois, enfants ; et soignez-moi les derniers. »