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Page:About - Les mariages de Paris, 1856.djvu/118

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112\tTERRAINS A VENDRE. soupir. Un matin, il arrive avec le soleil : il a rêvé que son cher tableau était vendu à la reine d’Angleterre ; il veut l’admirer encore une dernière fois. Pour le coup, l’artiste perd patience et lui dit des injures : « Tu n’es qu’un âne : il y a ici vingt tableaux pas mal, et tu vas t’épater devant une croûte. Cette esquisse est stupide, on n’en fera jamais rien ; je ne veux plus la voir; emporte-la, mais ne m’en parle plus. » Chin- gru ne se le fait pas dire deux fois : il court au tableau avec des cris de pygargue affamée, il le montre à l’artiste, il le célèbre à grand renfort de superlatifs, et il finit par y faire mettre une signature qui en triple la valeur. On ne regarde pas trop à lui donner un tableau, parce qu’on sait qu’il en a plusieurs, et des bons peintres ; on se dit qu’on ne sera pas compromis dans sa galerie. Mais sa galerie, personne ne la con¬ naît. Sa maison est l’antre du lion : on sait ce qui y entre, on ne sait pas ce qui en sort. Tous les tableaux qu’on lui donne sont immédiatement vendus sous main à un juif, qui les expédie en province, en Bel¬ gique ou en Angleterre. Si le hasard en rapportait quelqu’un à Paris, Chingru répondrait sans se trou¬ bler : « Je l’ai donné; je n’ai rien à moi; je suis si bon vivant! » ou bien : « Je l’ai échangé contre un Van Dyck. » Quel est le peintre qui se plaindrait d’avoir été échangé contre un Van Dyck? C’est ainsi que Louis-Théramène de Chingru s’est fait un bureau de bienfaisance de tous les ateliers de Paris. É ¥