Page:Académie Royale de Belgique - Bulletins de la classe des lettres, 1919.djvu/376

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Congrès de Vienne, une nouvelle forme de l’esprit révolutionnaire. Le droit divin des rois ne tint aucun compte de cet autre droit divin qui s’affirmait devant lui, j’entends le droit divin des langues. L’Allemagne née des marchandages diplomatiques de 1815, fut bien faite pour décevoir tous ceux qui, après la bataille de Leipzig, avaient rêvé de son unité. Aussi le germanisme prend-il parti, pour un moment, contre l’absolutisme. Le rôle que le libéralisme et la démocratie jouent en France sous la Restauration et sous Louis-Philippe, c’est lui qui le remplit au delà du Rhin. L’idée nationale s’y allie en un mélange confus à l’idée libérale, et de l’interpénétration de ces deux éléments contradictoires surgit une nouvelle forme de germanisme. Tous les espoirs détrompés, toutes les ambitions inassouvies des patriotes se concentrent sur lui, c’est de lui qu’ils attendent la réalisation de l’idéal qui fait battre leurs cœurs et travailler leurs cerveaux. L’État leur interdisant toute activité politique, ils se réfugient dans la pensée pure, et leur imagination, pour se consoler des desenchantements du présent, s’élance vers les perspectives illimitées de l’avenir qu’ils souhaitent à leur peuple et de la mission qu’ils lui attribuent. L’Allemagne est de plus en plus, à leurs yeux, la nation prédestinée, le garant de la civilisation, la source de tout bien, de toute beauté, de toute vérité. « Il ne faut pas oublier, lit-on déjà dans Fichte, que tout ce qui fait le trésor commun de la république des peuples européens, tout ce qui en caractérise les citoyens : générosité, humanité, chevalerie, galanterie, sont des traits originaux du caractère allemand[1]. » Et bientôt Hegel, renchérissant sur lui, déclarera : « L’esprit germanique est l’esprit du monde moderne, dont la fin consiste à réaliser la vérité absolue en tant qu’autonomie infinie de la liberté, de cette liberté qui a pour contenu sa forme absolue elle-

  1. Sämtliche Werke, 1846, t. VII, p. 573. Cf. Ch. Andler, Le Pangermanisme philosophique, 1917, p. 27.