PREMIÈRE VEILLÉE Il n’est plus temps, ma sœur, de tresser ta guirlande Et d’aller en chantant de buisson cn buisson ; Vois de nos mains s’enfuir l’odorante moisson Au souffle àpre du nord qui ravage la lande. Tous les frileux oiseaux se sont groupes en bande ; Guidés par leur instinct ils vont à l’horizon Retrouver un ciel pur où vibre la chanson, Un nid plus abrité qui du froid les defende. Nous envions l’essor des sveltes voyageurs ; Longtemps nous les suivons de nos regards songeurs Qui s’abaissent enfin tristement vers la terre. Sur les gazons jaunis s’etleuillent les grands bois ; Viens avec mui t’asscoir au foyer solitaire, Réjouis-le, ma sœur, d’un recit d’autrefois.
Moe EUGÈNE MonNtioT.
Le dernier feu s’éteint sur la lande cmbrumée ;
Plus de flamme aux carreaux, aux toits plus de fumée ;
La note des crapauds vibre seule, et la nuit
Sous sa robe de crêpe endort ce faible bruit.
Le étoiles ne sont pas encore allumées.
Silencieusement des brises embaumècs
Passent sur le sommcil des moissons et des bois ;
Une lueur surgit au faite blanc des toits
Et de taches d’argent séme la terre bruns :
Voici qu’a l’orient, là-bas, monte la lune.
LAURENT TAILHADE.
DEPART
(TIRE D’IPSÉMET)
Il disait : Pour l’exil mon àme sera forte.
Je ne pälirai point au seuil de cette porte.
Je saurai, par le Ciel au devoir attaché,
Suivre ma route austère tt vers le but cherché,
Heureux et souriant, sans doute ct sans murmure,
Marcher comme un guerrier, serein dans son armure.
Mais, quand il vit s’enfuir le toit de sa maison
Et bientôt s’élargir son étroit horizon
Et les arbres mêler leur ombre au paysage,
Il sentit tout-à-coup défaillir son courage.
Il frémit ; le sanglot étrangla son gosier.
Son cœur devint un marbre et son front un brasier.
Il crut qu’il ne pourrait supporter ses alarmes.
11 ne mit point ses mains sur ses yeux où les larmes
Sous la paupière humide amassaient des charbons.
Comme un lion captif qui comprime ses bonds,
Il étreignit son cœur et cloua sa pensée.
Plein des fougucux élans d’une rage insensée,
Il scrra fortement ses dents contre ses dents.
I] éteignit l’eclat de ses pleurs imprudents.
Il cacha ses deux poings, crispes par la colère.
Nul ne sut qu’un passant avait eu son calvaire
Et que, changeant en deuil ses jours sans lendemain,
Un homme de l’exil avait pris le chemin.
ALFRED DE MARTONNE.
SONNET
Elle avait de grands yeux, une bouche mignonne ;
Ses longs cheveux d’ebène entouraient son beau col ;
Elle était née un jour aux plaines de Bayonne,
Et, volage oisclet, elle avait pris son vol.
Sœur de la Zingara qui mendie et fredonne
Son étrange chanson, fille du rossignol,
Elle allait à travers le vent qui tourbillonne,
De la basse Armorique aux sommets du Tyrol.
Et tu la vis passer, 6 capitale altière,
Quand la neige mettait du givre à sa paupiere,
Quand pour le bal joyeux la beauté se parait ;
Pour nourrir son beau corps, vicrge de toute offense,
Lorsque venait le soir, oh ! tourment de l’enfance,
Elle allait, ie sein nu, chanter au cabaret :
ALRERT VERNAELDE.
SOIR AU DÉSERT
Le désert est muet comme un sépulcre immense ;
Pas un chant, pas un bruit ne trouble le silence ;
Seuls quelques grands Chameaux marchent dans le lointain,
Tandis que le soleil qui s’incline soudain,
D’une étrange façon dilate leur grande ombre.
L’air paraît enflammé ; des Nuages d’or sombre,
Fantômes couronnés, faits de pluie et de feu,
Traversent au galop l’infini pur et bleu,
Répandant sur l’argent des mille grains de sable,
Quelque reflet changeant qui fuit, insaisissable.
À l’horizon, là-bas, dans un miroitement.
Un Lac aux flots profonds repose doucement ;
Quelque rayon doré danse encor sur sa grève,
Puis disparaît d’un bond ; et le lac, comme un rêve,
S’efface lentement dans les brumes du soir.
Puis c’est la nuit, jetant soudain son manteau noir
Sur l’immensité vague ; et la Lune voilée,
Reine que suit de près une cour étoilée,
Qui monte les degrés de son trône mouvant
Et jusque sur le sol laisse languissamment
Traîner les plis soyeux de sa robe d’argent.