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discours de m. mérimée.

chargea d’engager le proscrit à quitter sa vie errante et à poursuivre ses travaux sans inquiétude. Il lui fournit même les moyens de retourner à Besançon, et, quelque temps après, de se rendre à Dôle pour y ouvrir un cours de littérature. Quinze ans plus tard, M. Nodier eut le bonheur d’acquitter cette dette de reconnaissance. Les temps étaient changés, M. Jean de Bry était exilé à son tour. M. Nodier avait pour ami un ministre influent, et obtenait comme un service personnel le rappel de son ancien protecteur.

Dans ses courses à l’aventure, M. Nodier avait reçu à Quintigny l’hospitalité d’une famille aimable à laquelle il devait bientôt appartenir par les liens les plus doux. Peu de temps après son arrivée à Dôle, il épousa la femme qui fit le bonheur de sa vie, et dont la tendresse adoucit les souffrances de son dernier jour. Son modeste patrimoine était dissipé. Rarement un poëte connaît le prix de l’argent, et M. Nodier ne put jamais voir l’infortune sans la secourir jusqu’à s’y associer. Désormais, père de famille, et sentant qu’il devait vivre, non plus pour lui, mais pour sa jeune compagne, il quitta la position précaire de professeur à Dôle, pour accepter la place de secrétaire d’un riche Anglais, le chevalier Croft, savant philologue, ami et collaborateur du célèbre Johnson. Sans un goût bizarre pour les minuties, sir Herbert Croft aurait pu, grâce à sa vaste érudition, occuper un rang distingué parmi les critiques. Un seul trait le peindra : il avait passé plusieurs années à copier et recopier le Télémaque pour en réformer la ponctuation ; et lorsqu’il s’associa M. Nodier, il méditait un semblable travail contre Horace. Peut-être M. Nodier dut-il à

acad. fr.
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