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discours de m. mérimée.

combats de savoir et d’esprit. Vous en étiez les juges, Messieurs, et vous adoptiez les vainqueurs, quelle que fût leur devise. Dans cette lutte nouvelle, M. Nodier se distingua d’abord, bien que ses premiers ouvrages se ressentissent de cette exagération, en quelque sorte fatale, où la polémique entraîne les esprits les plus sages et les plus mesurés. Il reprochait à nos maîtres de sacrifier le naturel à une majesté de convention ; et les héros de Jean Sbogar et de Thérèse Aubert sont plutôt les fantômes d’une imagination exaltée que des êtres réels. Ces défauts, qui sont moins les siens, peut-être, que ceux de toute école à son début, disparaissent dans les productions dues à la maturité de son talent. On sent que l’auteur, plus sûr de lui-même, abandonne les combinaisons extraordinaires pour étudier la nature de près, et pour y découvrir des ressorts simples, mais irrésistibles. Ses couleurs sont vraies, sans cesser d’être artistement nuancées ; ses caractères excitent la sympathie, parce qu’ils appartiennent à l’humanité. Il sut donner de la vraisemblance aux compositions les plus fantastiques ; car, imitant les Grecs, il revêtit ses Chimères de formes prises dans la nature. À cette époque de son talent, nous devons les Souvenirs de jeunesse, Mademoiselle de Marsan, la Fée aux miettes, Inès de las Sierras, les Souvenirs de la Révolution et de l’Empire, récits charmants, pour lesquels il est difficile de trouver un nom ; sous sa plume, en effet, le roman, l’histoire, l’érudition, se transforment, se mêlent et se prêtent mutuellement leurs ressources. Il avait l’art de donner aux sujets les plus arides un attrait qui les rendait populaires. Ses Voyages en Normandie et en Franche-Comté apprirent à respecter nos vieux monuments, et vengèrent le moyen âge