Page:Académie française - Recueil des discours, 1850-1859, 2e partie, 1860.djvu/439

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vos regards en vous irritant contre les hôtes inexplicables qui déparent ainsi la majesté de l’édifice.

Et cependant jamais l’âme du poète n’avait fait tant d’efforts désespérés pour secouer ses entraves et le scepticisme fatal, pour s’élever à des croyances dignes de lui. Avec quelles angoisses il se dresse vers le ciel pour demander un Dieu ! Avec quelle tendresse il baise les effigies de celui qu’il croit mort et qu’il voudrait adorer ! Jusqu’alors, par une sorte d’inconcevable respect humain, cette âme sympathique, naïve même, s’efforçait de voiler son vrai caractère sous l’ironie et le dédain. Nature à la fois tendre et moqueuse, simple et fine, il semble redouter pardessus tout la raillerie, tant il y excelle lui-même. De là un triste étalage de précoce expérience, et cette témérité d’emprunt qui se manifeste dans une conception comme celle de Rolla. Mais quand, s élevant par l’inspiration au-dessus d’un tel sujet, il l’a revêtu des couleurs de son style et qu’il l’associe au mouvements de sa pensée, aussitôt la grandeur et la pureté originelles se trahissent, et le déplorable héros du poëme a disparu devant le grand poète qui souffre et qui laisse voir sa blessure avec tant de sincérité.

Dès lors sa renommée était faite ; il avait des imitateurs. Il en conserve aujourd’hui, et peut-être n’est-ce pas là un bonheur pour le modèle. Quels sont les œuvres et les hommes qui n’aient rien perdu à être imités ? Disons-le, à la gloire d’Alfred de Musset, il est le moins imitable des contemporains. On ne saurait copier la spontanéité et la jeunesse. Sa poésie est jeune, non pas seulement pour avoir été l’œuvre de ses plus vertes années et parce qu’elle répond à tous les instincts, à toutes les séductions, à tous les défauts même de cet