Page:Académie française - Recueil des discours, 1850-1859, 2e partie, 1860.djvu/441

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

commencé. Au sortir de nos désastres, l’imagination, la première, avait relevé le monde moral. Cette religieuse mélancolie qui poursuit René dans les solitudes du nouveau monde et l’amant d’Elvire sur les lacs des Alpes a-t-elle rien de commun avec la soif de plaisir, avec le scepticisme des imitateurs de don Juan ? Sans doute la pente était glissante de René à l’Enfant du siècle. Si hautes que soient nos aspirations, il faut bien qu’elles acceptent un but et une règle avec les devoirs positifs de la vie. Mais, du moins, dans les Méditations et dans René, le but fixe était aperçu, ou offrait au mal son seul remède, un idéal, une foi précise ; en un mot, le christianisme.

A défaut de la foi, l’Enfant du siècle avait reçu le don des larmes. Un intérêt, accru par celui du roman, s’attachait désormais à la personne comme au talent d’Alfred de Musset. Dans cette poignante analyse du cœur, dans ces pages d’une réalité si vive, on voulait deviner des confidences. N’avait-il pas dû pleurer lui-même celui qui tirait tant de pleurs sincères de ses héros et de ses lecteurs ? Et on lui savait gré de ces douleurs vraies, dans un moment où abondaient tant de douleurs factices.

La génération jeune et passionnée lui était toute conquise ; les juges d’élite l’avaient salué dès ses premiers vers : il avait la renommée, il n’avait pas encore la popularité, C’est au théâtre qu’elle s’acquiert le plus vite. Le poète ne songeait pas d’abord à l’y poursuivre ; c’est de là qu’elle lui vint. Le succès d’un Caprice, commencé en Russie, inaugura en France celui des autres proverbes. L’éclat en fut si vif, qu’il rejaillit sur toute la prose d’Alfred de Musset ; elle devint, pour beaucoup de ses lecteurs, l’objet d’une faveur qu’elle mérite,