Page:Académie française - Recueil des discours, 1850-1859, 2e partie, 1860.djvu/447

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arrive à se faire un tourment des grandes questions dont il avait souri. Il dévoile du même coup ses souffrances mortelles et son espoir infini, et semble terminer son œuvre et sa vie par cette sublime et navrante confession. Il a dit vrai dans ce cri de l’âme ! Son plus grand bien, sa plus grande gloire peut-être, est dans cette larme sacrée qui nous livre son plus intime secret et dont la pureté rejaillit sur son œuvre tout entière. Noble douleur qu’il laissa tant de fois éclater et qu’il appelle avec tant de justesse le tourment de l’infini !

Sachons bien tout le prix de cette religieuse tristesse. C’est elle, à défaut des joies sereines qu’apportent les fermes croyances, c’est elle qui fait notre grandeur. Elle marque un abîme entre le doute sans issue où s’enfermaient les profanes rieurs du siècle dernier, et l’incertitude pleine d’espoir d’où s’élance l’esprit contemporain. Le vieux scepticisme avec ses froides moqueries ne disait pas seulement : La vérité nous est voilée ; il semblait dire : Nulle vérité n’existe. Le doute moderne, dans ses inquiètes ardeurs, est une acte immense de désir, un généreux appel à l’idéal inconnu. Cette vérité pour lui encore ignorée, le poète l’adore de toutes ses forces ; il conjure cet infini de se laisser comprendre ;

 
Brise cette voûte profonde
Qui couvre la création ;
Soulève les voiles du monde
Et montre-toi, Dieu juste et bon !


Voilà, de notre temps, le cri des âmes les plus découragées ; leur scepticisme se résout dans une prière. Voilà le doute