Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/365

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reproches très-légèrement adressés à la fondation de M. de Montyon ont dû à plusieurs reprises être examinés et détruits. Grâce à Dieu, cette tâche, tant de fois remplie avec éloquence, est enfin devenue superflue. Le temps s’est expliqué pour nous et le nom de prix de vertu ne fait plus d’illusion à personne. Personne ne nous prête plus la ridicule pensée de faire naître la vertu dans les âmes ; ce qui reviendrait, au fond, à la tentative d’exciter le désintéressement par la perspective du salaire et d’entretenir l’humilité par l’espoir de la louange. Nous ne prétendons pas davantage payer ce qui est dû aux actes vertueux des gens de bien que nous couronnons. Il y faudrait d’autres trésors que les nôtres dont nulle main humaine ne possède la clef. Nous saisissons seulement l’occasion qui nous est offerte pour les remercier tout haut de l’honneur qu’ils font à l’humanité et à la France. Nous ne sommes ni leurs précepteurs ni leurs juges : nous sommes leurs témoins émus et reconnaissants.

Que cette proclamation publique les surprenne parfois et effraye chez eux cette pudeur, compagne de tous les sentiments délicats, nous le concevons ; mais ce n’est pas leur goût, c’est notre conscience et notre intérêt aussi que nous consultons. Il faut pourtant bien, non pour son honneur, mais pour le nôtre, que la vertu se résigne à subir la loi commune et à prendre sa part d’une condition générale de nos mœurs, dont il ne serait pas juste que la malignité humaine fût toujours seule à profiter. Nous vivons dans un temps où, quoi qu’on fasse, la publicité règne et se joue de toutes les barrières qu’on lui oppose. Cette puissance inconnue de nos pères et que notre siècle a vue naître promène sur notre société tout entière ses regards indiscrets et dominateurs.