Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/673

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un saint, ou un philosophe, ou un lettré qui se mêle peu aux affaires du monde, qui les ignore ou qui les dédaigne. C’est un homme à part, un peu solitaire et un peu singulier. Rien de pareil dans le sage antique : c’est surtout l’homme habile et avisé, qui sait se tirer d’affaire et qui a l’esprit d’expédient. Non qu’il aille jamais, dans ses expédients, jusqu’à oublier ce qui est honnête pour suivre ce qui est utile. Cependant il vise surtout à ce qui peut le tirer d’embarras, et il sait admirablement profiter des bonnes chances que le sort lui envoie. Voyez Joseph dans l’histoire sainte ; voyez Ulysse dans l’histoire profane, et les sept sages de la Grèce. Leur sagesse est la prudence et l’habileté. C’est par sa prudence que Joseph, d’esclave qu’il était, devint premier ministre du roi Pharaon. Dieu le protège assurément ; mais il s’aide lui-même par son habileté. Il est vertueux et avisé.

Un des sept sages de la Grèce, Pittacus, est prince de Lesbos. Loin de croire que le sage, le philosophe, le lettré, dussent s’abstenir de prendre part aux affaires publiques, il disait que « c’était dans le gouvernement de la république qu’un homme faisait connaître l’étendue de son esprit et de ses maximes ». Ses maximes sont toutes des maximes de sagesse politique : « Quand vous voudrez faire quelque chose, disait-il à ses disciples, ne vous en vantez pas ; car, si par malheur vous ne pouviez venir à bout de votre entreprise, on se moquerait de vous. » Autre caractère de l’homme politique dans Pittacus : jamais il ne s’est trouvé embarrassé, quelque question qu’on lui ait faite. On lui demandait un jour quelle était la chose qu’on ne devait faire que le plus tard qu’on pouvait : Emprunter de l’argent à son ami ;