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Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/83

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aux véritables instincts de la nature humaine. Un de ces instincts les plus puissants n’est-il pas celui de l’imitation ? Il n’est pas rare assurément, dans les créations du roman et de la scène modernes, de voir apparaître l’esclave ivre sous des masques divers, et l’on ne remarque pas qu’il ait jamais corrigé personne. Hélas ! c’est plutôt lui qu’on imite ! — L’œuvre si variée de Scribe ne présente à la foule aucune de ces tentations perverses. C’est un mérite dont on ne saurait faire la loi essentielle de la fiction littéraire sans entraver les libertés du génie ; mais c’est un mérite excellent, et l’un de ceux que le public apprécie avec le plus de gratitude et d’unanime justice. Si l’on ne peut, en effet, refuser son admiration à ces peintures savantes et impitoyables qui reproduisent trait pour trait les plaies les plus cachées et les plus hideuses du cœur humain, on aime surtout à se reposer du spectacle et des agitations de la vie dans la paix d’un monde imaginaire, et l’on aime encore à se sentir meilleur dans ce commerce fugitif d’une meilleure humanité.

Mais, à part ce charmant optimisme moral qui le caractérise, et à part aussi les droits naturels de son grand talent, Scribe avait plus d’un titre intéressant à cette faveur immense et comme amicale qui n’a cessé d’environner son nom. Pour plaire en France et hors de France, il avait d’abord une vertu toute-puissante : il était Français, et de pure race française. Sa veine, toute fertile qu’elle est, reste en effet sans mélange et n’emprunte rien à l’étranger. Le fond et la forme de ses écrits, la clarté limpide, la conception vive et un peu légère, l’émotion facile et gracieuse plutôt que profonde, la satire toujours aiguisée et jamais sanglante, la générosité toujours prête, l’abondance jaillissante du