Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 1re partie, 1895.djvu/80

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adressées, — et le souvenir persistant de deux livres, Julia et Sibylle, lus jadis avec enthousiasme, mais lus à vingt ans… Mon Dieu, si en le lisant et en l’étudiant aujourd’hui, j’allais ne plus l’aimer !… Et si, pour écrire cet éloge imposé, la sincérité allait me faire défaut, que me resterait-il, à moi qui n’ai ni l’habileté ni l’expérience ?…

Quelques jours plus tard, à la fin de ce même mois de mai, tous ses livres, mandés en hâte à Paris, m’arrivèrent, — vingt ou trente volumes dont les titres mêmes m’étaient pour la plupart inconnus… Anxieusement, je cherchai d’abord mes deux grandes amies d’autrefois, Julia et Sibylle ; vivraient-elles, à mes yeux, autant que jadis ; garderaient-elles leur charme encore ou bien l’auraient-elles perdu ?… Et en tremblant je commençai de relire.

Je fus rassuré très vite : elles vivaient toujours, et d’une vie aussi intense ; leurs figures, un peu oubliées, me réapparaissaient aussi attirantes. Et, pour Julia que j’avais voulu revoir la première, je me rappelle que, ayant pris le livre le soir, je continuai de lire, malgré l’heure avancée de la nuit, et suivis la charmeuse dans sa course à la mort, jusqu’à cette fin admirable, haletante de vertige : « La bête, sentant l’abîme, se déroba brusquement, et marqua un demi-cercle. La jeune femme, les cheveux dénoués, l’œil étincelant, la narine ouverte, la retourna, la fit reculer… Et le cheval, fumant, cabré, se levait presque droit et se dessinait de toute sa hauteur sur le ciel gris du matin… À la fin, il fut vaincu : ses pieds de derrière quittèrent le sol et rencontrèrent l’espace. Il se renversa et ses jambes de devant battirent l’air convulsivement. — L’instant d’après, la falaise était vide. Aucun bruit ne