Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/184

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la ruine de nos familles et, par conséquent, de nous-mêmes, mais ce sera une loi de justice et d’humanité.

Les créoles, qui trouvaient la plupart que les nègres avaient été esclaves assez longtemps pour s’être habitués à l’esclavage, hésitaient. Leconte de Lisle les détermina, et séance tenante il écrivit une pétition, la signa, la fit signer à tous les assistants et l’expédia incontinent. Le Gouvernement provisoire décréta bientôt l’abolition de l’esclavage. À cette époque, Leconte de Lisle était en Bretagne, délégué par le « Club des Clubs » pour préparer les élections dans le département des Côtes-du-Nord. Les paysans bretons sont têtus ; il ne peut les convertir aux idées du « Club des Clubs ». Il rentra découragé à Paris où la prise d’armes et les sanglantes représailles de Juin achevèrent d’ébranler sa foi à l’harmonie et à la fraternité républicaines.

Ses sentiments d’alors nous sont révélés dans une lettre à l’un de ses plus chers amis, M. Louis Ménard, qui, s’étant exilé à Londres, lui avait soumis des vers écrits pour un almanach de propagande démocratique : « … En vérité, n’es-tu pas souvent pris comme moi d’une immense pitié en songeant à ce misérable fracas de pygmées, à ces ambitions malsaines d’êtres inférieurs ? Ne t’enfonce pas dans cette atmosphère où tu ne saurais respirer… Ne me dis pas que la lutte est ouverte entre les principes moraux que nous confessons tous deux et les iniquités sociales. Il y a bien des siècles que cette lutte est commencée et elle se perpétuera jusqu’au jour où le globe s’en ira en poussière dans l’espace. Mais il n’est pas qu’une seule façon d’y prendre part. Les efforts et les modes d’efforts