Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/454

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ment. Un artiste, le peintre délicat et spirituel des Oiseaux, qui vivait dans son intimité, me racontait qu’un soir de juillet, ils étaient assis ensemble près d’une meule de foin et respiraient cette odeur de l’herbe fraîchement fauchée, qui s’exhale comme la pénétrante douceur d’un souvenir de jeunesse. Dumas, goûtant le repos des journées bien remplies, se renversa voluptueusement sur le foin et s’écria : « Mon ami, je suis heureux, bien heureux !… » Hélas ! nous ne devrions parler du bonheur qu’à voix basse et toutes portes closes, afin de ne point éveiller l’Infélicité qui sommeille non loin de nous et apparaît tout à coup comme une jeteuse de mauvais sorts. Quelques semaines après cette pacifique soirée d’été, Dumas se sentait souffrant et envoyait chercher un médecin. À l’automne, on le ramenait plus malade à Marly, dans ce royal village enveloppé de forêts, dont les profondes châtaigneraies, à l’égal de ce cimetière romain dont parle le poète Shelley, « vous rendraient amoureux de la mort, à la pensée qu’on pourra reposer sous cette terre verdoyante ». Ce fut à Marly-le-Roi qu’il s’éteignit le 27 novembre 1895, à la tombée du jour.

En terminant le discours de réception qu’il prononça devant vous, Messieurs, le 11 février 1875, Alexandre Dumas s’exprimait ainsi : « Si j’avais à résumer M. Lebrun, d’un seul mot, je dirais qu’il a été toute sa vie ce qu’il est si difficile d’être : un homme » ; et il ajoutait : « Dieu veuille que celui qui me succédera ici puisse en dire autant de moi devant une assemblée comme la vôtre ! »

Ce moment est venu. Votre confrère, qui était un des maîtres de la littérature dramatique, vous a été brusquement enlevé et vos suffrages m’ont appelé, non à le rem-