Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/465

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dites-vous, et je trouvai qu’elle avait raison… » Cette saveur d’un miel sauvage, composé de toutes les fleurs de Lorraine, c’est celle de tous vos vers de nature, et vous avez, à la façon des poètes, payé royalement votre dette à la douce morte qui vous a, la première, révélé le secret des vrais artistes, celui de faire de l’exquis avec les plus humbles choses : vous avez fixé son image dans l’élégie dont je parlais tout à l’heure. Je regrette qu’elle soit trop longue pour la citer toute. J’en redirai seulement les dernières stances, où vous montrez la promeneuse du jardin, devenue trop âgée pour errer dans les allées, et emprisonnée dans sa chambre, entre ses tentures de Flandre aux teintes passées, l’épinette silencieuse, les miroirs ternis et les meubles en bois de rose. Un livre, reprenez-vous,

… Un livre est seul parmi ces reliques fanées,
Et sous le papier mince et noirci d’un feuillet
Une fleur sèche y dort depuis soixante années.
Le livre c’est Zaïre, et la fleur un œillet.

L’été, près de la vitre, avec le vieux volume,
La grand’tante se fait rouler dans son fauteuil…
Est-ce le clair soleil ou l’air chaud qui rallume
La couleur de sa joue et celle de son œil ?

Elle penche son front jauni comme un ivoire
Sur l’œillet qu’elle a peur de briser dans ses doigts,
Un souvenir d’amour chante dans sa mémoire,
Tandis que les pinsons gazouillent sur les toits.

Elle songe au matin où la fleur fut posée
Dans le vieux livre noir, par la main d’un ami ;
Et ses pleurs vont mouiller ainsi qu’une rosée
La page où soixante ans l’œillet rouge a dormi.