Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/473

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scénique. On comprenait, à l’entendre causer, l’enchantement qui jadis immobilisa Chênedollé auprès de Rivarol des mois durant, au point de bouleverser sa vie plutôt que de renoncer à l’ivresse de cette causerie. Il semble bien que c’était, chez tous les deux, à un siècle de distance, le même don incomparable de trouver sur place tour à tour des répliques inouïes d’à-propos, des raccourcis d’idées éclatant de justesse. Le Rivarol qui répondait à Rulhière disant : « Je n’ai fait qu’une méchanceté dans ma vie… » « Quand finira-t-elle ? » était vraiment le frère de Dumas refusant sa main à un ingrat auquel il avait jadis prêté de l’argent, avec cette parole : « Il n’y a plus rien dedans… » Et le causeur de Hambourg a-t-il rien trouvé de plus finement gai que cette boutade du causeur de Marly, sur un auteur dramatique qu’il avait, comme beaucoup d’autres, généreusement aidé de ses conseils et qui, après le succès, reniait cette collaboration : « C’est un garçon de beaucoup d’esprit, qui fait même des pièces à mes moments perdus… » Il y avait de tout dans cet esprit, de la profondeur et du pittoresque, — de la poésie au besoin et de la gaminerie : « Il est difficile d’écrire un Polyeuete en veston !… » disait-il en parlant de sa dernière œuvre : la Route de Thèbes. Il y avait de la défense surtout. Il s’est peint lui-même avec une exactitude photographique, et, passez-moi le mot, phonographique, dans le Ryons de l’Ami des femmes à qui Montègre demande : « Est-ce en ami que je dois vous aborder ? » et qui répond : « En ami de la veille. Mais nous avons l’avenir pour nous… » En lui, comme dans Ryons, comme dans Jalin, son autre sosie, il y avait du bretteur de conversation et du don Quichotte. On le sentait