Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/475

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même au milieu du groupe des écrivains de cette sorte, car il est si hardi qu’il a parfois des allures de nihiliste et de destructeur ; il est si passionné qu’il inquiète les consciences à la minute même où il prétend les guérir, et avec cela il est si vivant, si éloquent, si poignant qu’il ne permet pas l’indifférence.

C’est que le moraliste en lui, vous l’avez noté, Monsieur, très finement, était né de la douleur. D’ordinaire, ceux qui font profession de dogmatiser sur la vie humaine, se sont formé une doctrine en raisonnant sur des idées. Ce sont des philosophes et qui, rencontrant la réalité, la jugent au nom d’un système. Ainsi firent jadis un Pascal, un La Bruyère, un Vauvenargues, ainsi plus près de nous, un Joubert et un Doudan. Dumas, lui, n’est arrivé à l’idée qu’à travers la réalité. Il a connu et senti la vie avant de la penser. Son effort vers une doctrine n’eut jamais rien de purement philosophique ni de froidement abstrait. Il a écrit, dans la Préface générale de son Théâtre, cette phrase éloquente : « Quand tu souffriras, regarde ta souffrance en face, elle t’apprendra quelque chose », et lui-même, dans l’admirable lettre à M. Cuvillier-Fleury qui précède la Femme de Claude, une de ces confessions publiques comme en ose seule la souveraine franchise du génie, il a démontré que son œuvre entière n’était que la mise en pratique de cette courageuse maxime. C’est le mot de toutes ses pièces et de tous ses livres, le principe de leur portée et de leur limitation. Vous nous avez rappelé fort heureusement en quels termes il avait formulé le programme de son effort d’écrivain : « Je cherchai le point sur lequel ma faculté d’observation pouvait se porter avec