Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/119

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seul, toutes ses pensées allaient à Suzanne ; mais au moindre frôlement d’une robe de satin glissant sur le sable des sentiers, tous les rêves secrets, tous les désirs confus de la jeunesse volaient vers Mme de Châteaufort. Son amour pour Mme d’Albergotti était pur et calme comme un lac voilé de saules ; il voyait jusqu’au fond du premier regard, et son cœur y puisait une tendre mélancolie qui laissait à ses rêves leur certitude et leur limpidité ; mais à la vue de Geneviève de Châteaufort, toute son âme se troublait, un tumulte étrange se faisait dans sa pensée, il sentait monter à ses lèvres mille paroles ardentes, la regardait éperdu et fuyait, ne sachant plus si l’amour était ce culte sincère et profond qu’il vouait au nom de Suzanne, ou le délire qu’allumait la présence de Geneviève. Cependant il restait, et comme ces voyageurs assoupis sous les ombrages odorants des Antilles qui recèlent des poisons dans leurs parfums, il n’avait plus la force de secouer le sommeil enivrant où le berçait une naissante passion.

Belle-Rose n’avait pas la liberté de sortir du parc, mais dans son étendue, semée de jardins et de bois, il errait au hasard ; seulement il n’errait pas seul. Aux yeux des gens du château, il passait pour un gentilhomme, il en portait l’habit et l’épée, et les laquais ne l’appelaient pas autrement que M. de Verval. Ce nom ambitieux lui venait de Mme de Châteaufort, qui le lui avait donné en riant.

Un jour qu’ils se promenaient ensemble, peu de temps après son entrée en convalescence, Mme de Châteaufort s’amusait à le plaisanter sur ce nom de Belle-Rose, qui, ne lui venant pas du calendrier, le laisserait sans patron au paradis.

– Si mieux vous aimez, madame, appelez-moi Jacques, répondit le soldat.

– Ceci est au moins catholique ; mais ce n’est pas tout, j’imagine… Jacques quoi ?

– Jacques Grinedal.