La Déroute ne se tenait pas pour battu et allait proposer de passer en Hollande, lorsque Belle-Rose l’interrompit.
– Ah çà ! lui dit-il, quel mal t’a fait l’Angleterre ?
– Aucun.
– As-tu peur d’y mourir de faim ?
– Point ; on dit que les moutons y sont gros comme des veaux, et les veaux comme des bœufs.
– Crains-tu de passer la Manche ?
– Je suis né à Dieppe.
– La géographie, que tu connais si bien, t’a-t-elle appris que le pays est vilain ?
– J’ai vu la Beauce, qui est comme un plat, et l’Auvergne, qui est comme une fourchette.
– T’imagines-tu que les hommes y soient comme des ogres et les femmes comme des ogresses ?
– J’ai beaucoup connu à Laon un Suisse qui était Anglais, et de qui la fille était charmante, répondit la Déroute d’un petit air modeste où brillait un grain de fatuité.
– Est-ce la pluie qui t’épouvante ?
– J’ai passé mon enfance en Normandie et ma jeunesse à Chantilly, où le soir pleure quand le matin rit.
– Alors, que te fait d’aller en Angleterre ?
La Déroute était à court de raison ; mais quand Belle-Rose ne le regarda plus, il murmura tout bas en se grattant l’oreille :
– C’est égal, je n’aime pas l’Angleterre.
Cornélius avait lié sur la croupe des chevaux des uniformes que les trois cavaliers revêtirent au premier bois qu’ils trouvèrent sur leur chemin.
– On nous prendra pour des gentilshommes qui vont en mission, dit-il en agrafant son habit.
– Au fait, dit la Déroute, on n’ira pas croire que ceux qui s’échappent courent sous l’habit de ceux qui poursuivent.