Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/343

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– Que voulez-vous qu’il me fasse après ce qu’il m’a fait ?

– Mais il peut vous oublier !

– D’autres se souviendront.

– Eh bien ! madame, si par hasard vous trouviez l’attente trop longue, vous savez que vous pouvez en toute chose compter sur mon dévouement.

La visite de M. de Pomereux rendit à Suzanne le calme qu’elle avait perdu, et pleine de courage, maintenant que Belle-Rose vivait, elle eut foi dans l’avenir. Il y avait dans le couvent des dames bénédictines une jeune pensionnaire que sa famille poussait à prendre le voile. C’était la seule dont les soins eussent touché Suzanne et dont elle eût supporté les caresses durant les trois jours sombres qui suivirent la nouvelle apportée par M. de Pomereux. Gabrielle de Mesle s’était attachée aux pas de Suzanne, pleurait avec elle et l’embrassait en lui prodiguant les noms les plus doux. C’était la seule consolation qu’elle pût lui donner, mais c’était la seule aussi que Suzanne voulût accepter. Il arriva donc que les liens de la plus tendre affection se nouèrent entre elles sans qu’aucune des deux y eût songé d’abord. Gabrielle pouvait avoir dix-sept ou dix-huit ans ; elle était élancée et blanche comme un lis, et blonde comme ces portraits de Vierge qu’on voit dans les églises. Sa tête, d’un ovale harmonieux, était presque toujours inclinée sur sa poitrine, qu’elle avait étroite et amaigrie ; sa taille fléchissait comme un roseau, et quand elle passait dans l’ombre des charmilles avec sa robe blanche et son beau front penché, on la pouvait prendre pour l’un de ces anges sveltes que les statuaires sculptent autour des bénitiers. Gabrielle avait le sourire et le cœur d’un enfant ; mais une accablante tristesse dévorait sa vie et tarissait les sources de sa pure jeunesse. Quand elle arrêtait ses yeux limpides sur Suzanne, leur regard tendre et mélancolique allait jusqu’au cœur de son