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Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/347

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matin il se réveilla avec la pâleur du marbre sur le front, les yeux plombés, le visage terni ; ses lèvres étaient toutes bleuâtres, sa peau brûlante et sèche ; il me jetait ses bras autour du cou en me disant qu’il avait du feu dans la poitrine, et il pleurait ; à midi il avait déjà ses petites mains froides, le soir il était mort !

Suzanne serra Gabrielle sur son cœur.

– Cela vous étonne, reprit la jeune fille d’une voix sourde, mais vous n’avez donc pas compris ? vous ne savez rien ?

– Quoi ? fit Suzanne avec épouvante.

– Nous étions riches, ne vous l’ai-je pas dit ? on a voulu notre richesse… on l’aura… il n’y a plus que moi…

– Oh ! croyez-vous ? mon Dieu !

– Je crois ce qui est, continua Gabrielle en se rapprochant de Suzanne… On nous a tués, on me tuera, on m’a déjà tuée peut-être… On ne vous l’a donc jamais dit ?

Et tout bas, collant sa bouche à l’oreille de Suzanne, elle ajouta : – Le poison est en France, le poison est partout ; il est au cœur des familles, il est dans l’eau qui désaltère, dans le fruit qui rafraîchit, dans la fleur qu’on caresse, dans le parfum qu’on respire ; le poison est comme l’air, il passe avec le vent ; il est dans la ville et dans la campagne… C’est l’ennemi invisible, insaisissable, infaillible ; il dévore la France ; il est au cœur du royaume ; il est le maître, le spoliateur, le roi !

Suzanne demeura glacée à ces paroles ; sans qu’elle pût en comprendre la cause, elle sentit frémir tout son être et son cœur se serrer. Une terreur invincible s’empara d’elle, et durant quelques minutes elle garda Gabrielle pressée entre ses bras, muette et osant à peine regarder autour d’elle.

– Sauvez-vous donc ! sauvez-vous ! s’écria-t-elle quand elle put parler. Il faut que votre père vienne vous réclamer ici, il le faut.

– Quitter ce couvent ! mais ce serait un suicide…