Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/469

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La fureur n’aveuglait pas tellement M. de Louvois qu’il ne vît clair dans leur position respective. Il comprit qu’il était vaincu et se résigna. M. de Pomereux attendait, les bras croisés.

– Allez, lui dit le ministre.

Au moment où le comte se retirait, M. de Louvois le retint par le bras.

– Vous êtes à M. de Condé, lui dit-il, restez-y, mon brave cousin. C’est un conseil que je vous donne en passant.

– Il vient de vous et je n’aurai garde de l’oublier.

M. de Pomereux s’inclina profondément et sortit.

Quand le ministre entendit la voiture aux armes du prince rouler sur le pavé de la cour, il saisit, dans un accès de rage folle, un vase de porcelaine de Sèvres qui était sur la cheminée, et le broya contre le mur.

Depuis le mariage de Belle-Rose et de Suzanne, les doux ombrages de l’abbaye de Sainte-Claire d’Ennery avaient vu les plus beaux jours que les deux amants eussent encore vécu. C’était sans cesse de longues promenades dans les bois, de silencieuses rêveries au bord des eaux murmurantes, de charmants entretiens le soir dans les prés. On ne pouvait rencontrer l’un d’eux qu’on ne fût aussitôt sûr d’apercevoir l’autre. Ils avaient toujours à se dire mille choses qu’ils s’étaient dites mille fois. Le matin les trouvait ensemble assistant, les mains unies, au réveil du jour ; le soir les retrouvait encore errant côte à côte le long des mêmes ruisseaux. Les semaines s’écoulaient comme des heures. Quant à Claudine et à Cornélius, ils se demandaient si les heures avaient des ailes. Le bonheur de Suzanne était grave : elle avait beaucoup souffert ; le bonheur de Claudine était gai : elle avait toujours espéré. La joie de l’une lui mettait des larmes dans les yeux ; la joie de l’autre lui mettait le rire aux lèvres : c’étaient deux caractères différents et deux âmes jumelles. Rien ne pouvait distraire