Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/55

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particulière. J’ai été piqueur ; or, un de nos jeunes officiers, M. de Villebrais, qui m’avait vu sous la livrée, m’a reconnu. On ne fait pas un officier d’un piqueur. Si, grâce à la protection de M. de Nancrais, j’arrive à la hallebarde, j’y resterai.

La Déroute fit cet aveu d’un air simple et résigné qui toucha Belle-Rose. Le soldat prit la main du caporal et la lui serra ; puis tous deux arrivèrent à la caserne. La chambrée où Belle-Rose fut incorporé se composait de huit hommes, tous soumis à une sévère discipline. On donna au nouveau venu un habit d’uniforme, un fusil, un sabre, un poignard et une paire de pistolets, et Belle-Rose, bien équipé, monta sa première garde. Le lendemain, on lui apprit le maniement des armes. Au bout d’un quart d’heure, le caporal s’aperçut que sous ce rapport-là la recrue donnerait des leçons à l’instructeur. Le surlendemain, on le mit aux premiers éléments du calcul. Belle-Rose sauta par-dessus les quatre règles et arriva tout d’un coup dans des régions où chaque chiffre était une lettre. Il répondait aux problèmes par des équations. Le jour suivant, le caporal lui mit un crayon entre les doigts. Tandis qu’il lui enseignait les principes du dessin linéaire, s’évertuant à lui démontrer la différence qui sépare un parallélogramme d’un trapèze, Belle-Rose barbouillait un bout de papier sur le coin de la table. Quand la démonstration fut terminée, le barbouillage était fini, et le caporal rit de bon cœur en reconnaissant les mèches de ses cheveux plats collés sur ses tempes, avec son nez retroussé entre deux yeux fendus à la chinoise.

– Ah çà ! vous êtes fils de prince ! s’écria le caporal en jetant son crayon.

– J’ai toujours tenu ma pauvre mère pour une très honnête femme, et mon père était fauconnier.

Le pauvre la Déroute avait étudié sous le sergent instructeur, et un peu au hasard, comme il avait pu ; mais la Déroute ne savait que tout juste ce qu’il fallait