Page:Achard - Envers et contre tous, Lévy frères, 1874.djvu/36

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redoutait. Le Suédois fronçait le sourcil et promenait ses regards autour de lui.

— Je sais, dit-il, je sais ! mais personne ici n’est en état de m’entendre. Le prince Christian-Guillaume lui-même, qui perdra la tête si Magdebourg est pris, parcourt la ville à cheval en habit de fête. Je m’estimerai heureux si je puis garder autour de moi quelques centaines d’hommes. La fièvre est dans l’air, elle a gagné jusqu’à mes soldats.

Et du doigt le capitaine lui fit voir sur la place des bandes de Suédois qui choquaient leurs verres contre ceux des bourgeois.

M. de la Guerche et Renaud sortirent de l’Hôtel de Ville plus tristes qu’ils n’y étaient entrés. Magnus ne parlait plus. Chaque rue qu’ils traversaient leur présentait le spectacle d’une fête. Des musiciens, debout sur des tonneaux, raclaient leurs instruments et faisaient sauter les jeunes garçons et les jeunes filles. Des centaines de tables, dressées en plein air, recevaient des milliers de convives. Les passants étaient invités à s’asseoir et à boire. Tous les fourneaux flambaient. On ne voyait pas un verre vide. Les narines de Carquefou se dilataient ; il promenait amoureusement la main sur son estomac en passant devant les cuisines. Ici, il acceptait un verre de vin du Rhin jaune comme de l’or ; plus loin une aile de chapon rôti, dorée et croustillante.

Magnus le regardait de travers.

— Ils mangent et tu les imites, malheureux ! disait-il ; et demain les ennemis seront dans Magdebourg !

— C’est justement pour cela, répondait Carquefou ; je ne veux pas que les Autrichiens et les Croates trouvent un os à mettre sous la dent.

Et il fourrait dans ses poches ce qu’il ne pouvait pas avaler.