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LUC

douce sur ses lèvres dévoila sa neuve puberté, que les jeunes hommes ont à « jeter leur gourme ». L’écœurante sottise de ce lieu commun lui donnait des nausées. Il n’avait pas de « gourme » et n’avait jamais pu comprendre que l’on semât aux quatre vents les sèves généreuses, genèses et liens des êtres auxquels ses premiers éducateurs, avant le lycée indifférent, avaient, aux temps de ses primes jeux, fait comme une auréole de leurs affections et de leur respect : l’enfant et l’épouse.

Il lui déplaisait souverainement que des crétins ricanassent de l’amour et fissent, sous la poussée bestiale de leur ventre en rut, à la fonction le sacrifice du sentiment.

Même quand Julien considérait la beauté dans un corps — et toutes les forces de son admiration et de sa clairvoyance s’avivaient à ce contact — l’ombre d’un mystère enveloppait la vision parfaite. La crainte de profaner une chose sainte modérait l’élan de son désir. Comme il se faisait à lui-même une image de l’amour, fragile et douloureuse, il la croyait également frêle et sensible chez autrui et tremblait de meurtrir son prochain en se blessant aussi. Ceux et celles qui s’offraient à ses yeux, vautrés hors de cette compréhension, caricatures obscènes de l’amour, bêtes en chaleur, ceux-là ne retenaient que sa pitié. Il les plaignait de saccager les divins parterres où les fleurs délicates veulent des doigts légers et s’inquiètent plutôt de charmer par leur arôme que de rassasier par la possession de leurs pétales fanés dès que cueillis, piétinés dès que fanés.

Et pourtant aucun pharisaïsme ne cachait à Julien