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Page:Achim von Arnim - Contes bizarres, Lévy frères, 1856.djvu/10

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laise, d’un frisson de terreur involontaire, car vous ne savez pas si vous avez affaire à des hommes ou à des spectres. Les êtres réels semblent avoir déjà appartenu à la tombe, et, en s’approchant de vous, ils vous murmurent à l’oreille avec un petit souffle froid qu’ils sont morts depuis longtemps, et vous recommandent de ne pas vous effrayer de cette particularité. Les fantômes ont, au contraire, une animation surprenante ; ils s’agitent, ils se démènent et font la grimace de la vie en comédiens consommés ; la rougeur de la phthisie, le pourpre de la fièvre colorent les joues bleuâtres des héroïnes et simulent l’éclat vermeil de la santé ; mais si vous leur prenez la main, vous la trouverez moite d’une sueur glacée. Ce petit monsieur à peau jaune et terreuse dont le torse se bifurque en deux jambes tortillées comme une carotte à deux pivots, n’est pas un feld-maréchal, mais bien une racine, une mandragore née sous la potence « des larmes équivoques d’un pendu » ; cet être huileux, blafard et gras qui frissonne dans sa redingote de peau d’ours est un mort sorti de sa fosse pour gagner quelque argent et solder un petit compte qu’il doit aux vers. N’allez pas devenir amoureux de cette jeune fille ; c’est un morceau d’argile, un golem, qu’un mot cabalistique écrit sous ses cheveux doue d’une vie factice. Si par un baiser vous effaciez le talisman, la femme retomberait en poussière : — il ne faut se fier à rien avec ce diable d’Arnim ; il vous installe dans une chambre d’apparence confortable et bourgeoise, vous croyez être en pleine réalité : les larves ne peuvent pas s’accrocher par les ongles de leurs ailes de chauve-souris aux angles de ce plafond blanc ; les plis des rideaux, symétriquement arrangés, n’offrent aucune cachette aux gnomes : relevez le tapis de la table, vous ne trouverez pas accroupi dessous un kobold coiffé d’un chapeau vert ; mais, si pour respirer la fraîcheur du soir vous vous accoudez au balcon, vous verrez de l’autre côté de la ruelle une fenêtre lumineuse, et vous distinguerez dans l’appartement éclairé une charmante créature au pur profil hébraïque qui reçoit nombreuse