Page:Achim von Arnim - Contes bizarres, Lévy frères, 1856.djvu/182

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servir tous les maîtres, trahir celui-ci pour celui-là afin de gagner quelques thalers, passer d’une armée à l’autre pour gagner une prime d’enrôlement, sa nouvelle nature dépenserait tout l’argent amassé d’une manière aussi honteuse ; et ainsi au dernier jour il serait aussi pauvre, aussi déguenillé, aussi désolé qu’en ce moment même[1].

Après avoir lancé cette malédiction, le petit se tourna tristement vers la figure d’argile.

De Chièvres lui demanda ce que cela représentait ; il montra Bella en pleurant amèrement. Qui aurait reconnu dans ce cornichon, fiché au milieu d’une boule de terre, le nez fin et gracieusement mobile de Bella ? Mais cette image suffisait à son amour ; et c’était surprenant de le voir embrasser ce morceau d’argile, qu’il détrempait de ses pleurs. Pauvre Prométhée ! Il regardait de temps en temps Bella d’un air si furieux, que l’archiduc eut un moment peur qu’il ne prît l’éclat des yeux de sa bien-aimée pour l’inoculer à sa boule d’argile. Il craignait aussi que ses mains ne prissent racine dans la terre, et que sa na-

  1. La malédiction était un peu longue, mais nous avons voulu la donner en entier, afin que s’il se présente quelque part un serviteur ou un soldat muni de faux certificats, on puisse reconnaître facilement Peau-d’Ours à ses deux manières opposées de vivre et de parler, et qu’on se garde de le prendre.