Page:Achim von Arnim - Contes bizarres, Lévy frères, 1856.djvu/23

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La pauvre Bella ! elle ne se doutait pas qu’elle fût si terrible !

La douleur causée par la perte de son seul espoir, de son père, l’avait tellement ébranlée, qu’elle n’avait plus qu’une seule idée, celle d’exécuter les ordres de la vieille Braka ; c’était sa plus douce consolation, de pouvoir rendre encore un dernier honneur à son père.

Selon l’usage établi chez les siens pour les repas funèbres, elle étendit son voile sur une pierre ; elle mit deux verres, deux assiettes, partagea le pain en deux, puis elle versa du vin dans les deux gobelets et les choqua ; elle vida le sien et versa celui du mort dans le ruisseau, qui, à quelque distance de la maison, se perdait dans l’Escaut. Comme elle répandait dans l’eau cette première offrande, les flots, tout d’un coup, mugirent et se soulevèrent, comme si un gros poisson, qui n’aurait pas eu de place dans ce lit étroit, était remonté à la surface ; en ce moment, la lune s’éleva au-dessus de la maison, derrière laquelle elle était restée cachée jusque-là, et Bella vit l’image pâle de son père ; sur sa tête était la couronne qu’y avaient placée les bohémiens avant de le lancer dans le fleuve ; et comme les flots tourbillonnaient avec leur précieux fardeau, la tête tourna à la pauvre enfant ;