Page:Achim von Arnim - Contes bizarres, Lévy frères, 1856.djvu/276

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

place ; de sorte que la fenêtre de l’héritier du Majorat était si rapprochée de celle d’Esther, que d’un saut hardi on aurait pu franchir l’espace qui les séparait. Mais sauter n’était pas son fort ; il s’en reposa, pour savoir ce qui se passait chez sa voisine sur la finesse extrême de son ouïe, qui lui rendait perceptibles des sons qui échappaient à tout autre. Il entendit d’abord un bruit de pas, ou du moins un bruit qui y ressemblait fort. Puis elle se leva brusquement, et lut avec beaucoup d’expression une pièce de vers italiens, où l’on représentait les dieux de l’Amour servant de femme de chambre et s’empressant autour de la toilette d’une belle.

En même temps il vit une foule de figures semblables à celle qu’on venait de décrire voltiger dans la chambre d’Esther. Il les vit lui tendre son peigne, des bandelettes et une charmante coupe à boire ; ils rangèrent ses vêtements qu’elle avait jetés au hasard, tout cela à un signe de sa main ; enfin, lorsqu’elle se fut mise au lit, ils vinrent tournoyer au-dessus de sa tête, jusqu’à ce qu’ils se fussent perdus peu à peu dans la fumée de la lampe expirante, à travers laquelle il vit se dessiner devant lui l’image de sa mère, qui recueillit sur le front de la jeune fille une petite figure brillante et ailée qu’elle prit dans ses bras, comme la