Page:Achim von Arnim - Contes bizarres, Lévy frères, 1856.djvu/282

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dit le cousin ; cela vous procurera l’occasion de faire connaissance avec elle de plus près qu’à travers les vitres de votre fenêtre. Tous les héritiers de ce Majorat étaient de complexion amoureuse, vous ne devez pas faire exception, cher cousin ; je vous accompagnerai, afin qu’on ne vous vole pas sur ce que vous achèterez, et aussi pour que vous ne vous rebutiez pas si la fille fait la prude.

Ils descendirent donc tous deux dans la rue, l’héritier du Majorat entraîné par le lieutenant. Le pauvre jeune homme ne pouvait s’empêcher de frissonner ; il lui semblait que toutes ces hautes maisons de bois étaient en carton, et que les hommes, tenus par des ficelles comme des marionnettes, suivaient irrésistiblement le mouvement que leur imprimait le tourbillon dans la grande valse solaire. Les boutiques commençaient à se fermer, les marchands rangeaient leurs étalages, comptaient leurs bénéfices de la journée, et au milieu de tout ce bruit, l’héritier du Majorat n’osait pas lever les yeux.

— Par ici, par ici, cria le lieutenant.

L’héritier du Majorat allait entrer dans la boutique désignée, lorsqu’au lieu d’Esther, il aperçut une affreuse vieille femme juive, au nez d’aigle, aux yeux d’escarboucle, une peau d’oie rôtie et un ventre