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CES DAMES AUX CHAPEAUX VERTS

— Ma sœur, prononce-t-elle, M. Hyacinthe et moi nous nous aimons…

— Depuis longtemps ?

— Depuis plus de dix ans ! M. Hyacinthe devait venir aujourd’hui même vous demander ma main. Il a cru que vous étiez au courant. Il a tenu à vous prévenir que des raisons majeures le forçaient à ajourner sa démarche.

— Quelles sont ces raisons ?

— Je les ignore… Mais il faut qu’elles soient sérieuses… Vous connaissez M. Hyacinthe, ma sœur. Vous savez que c’est un homme éminent. Je suis extrêmement flattée qu’il ait daigné jeter les yeux sur moi…

— Ma chère Marie, bien que je puisse à bon droit m’étonner de la méfiance que vous avez observée à mon égard, je conviens avec vous que M. Hyacinthe est un savant. Il est parfaitement digne d’entrer dans notre famille. Je le crois probe et sincère… Je n’ai guère de conseils à vous donner, puisqu’il m’apparaît que vous avez très convenablement accommodé les choses sans moi. Mais cette réserve faite et ma première surprise passée, il ne me reste qu’à mettre votre silence sur le compte de votre timidité… Je vous pardonne, ma chère enfant, et je vous félicite…

— Oh ! merci, Telcide… J’avais tellement peur que ce mariage vous parût stupide…

— Stupide ? pourquoi ?

— Je ne sais pas…

— Certes, depuis longtemps, je n’envisageais plus la possibilité que l’une de nous se mariât ! Mais très sincèrement, je vous l’assure, je me réjouis, ma chère petite, que vous vous évadiez de notre existence ingrate. La vie qui va vous emporter, est la vraie vie…

— Mais celle que nous menions…

— Elle ne l’est pas. Elle est calme, elle est ordonnée, elle n’est pas humaine. Nous n’y connaissons aucune joie, aucune souffrance, car nous ne participons à rien des joies et des souffrances universelles. Nous ressemblons à des lampes qu’on a mises au rancart, qui n’éclairent plus personne et qui s’éteignent peu à peu…