Aller au contenu

Page:Adam - Irène et les eunuques, 1907.djvu/116

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
100
IRÈNE ET LES EUNUQUES

lions d’émail. La canne d’Eutychès traçait des cercles imaginaires sur les dalles pareilles à l’eau par leurs reflets profonds ; et ses petits yeux perçants de presbyte apercevaient des poussières sur le marbre de la table où s’alignaient les boisseaux d’argent remplis de rouleaux administratifs. Digne et hautain, Staurakios récapitulait les sciences qui l’avaient conduit à la première place de l’empire, pas à pas, lentement, régulièrement, après des preuves réitérées d’intelligence évidente, unique, mais que ses rivaux discutaient toujours, sans vergogne, alors qu’ils discutaient moins celle de Bythométrès, plus fécond, en maximes et qui en imposait ainsi.

Les contemplant tous quatre, Irène se souvenait des heures où Pharès emportait, sous le manteau, les vases d’urine impériale, dans les premiers temps du mariage. Ce Staurakios alors livrait les petites Arméniennes en larmes au colosse éthiopien que Léon aimait voir agir pendant que lui-même embrassait le corps cambré de son épouse athénienne. Staurakios maintenant décrivait avec une lucidité miraculeuse le caractère du calife ; il supputait les ressources de Bagdad ; il calculait les distances, nommait tous les bourgs, tous les fleuves et toutes les rivières, toutes les collines et tous les monts qui pouvaient servir de remparts aux Grecs. Son esprit se lançait dans mille directions, les parcourait, revenait au centre. Il dit les moissons engrangées, les lieux de leurs amas, et comment la cavalerie s’y ravitaillerait. Il dit les routes capables de supporter le charroi des machines