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L’ÎLE AUX LINGOTS


I

L’Aurographe


Mme Cora Schlembung et sa pupille Adrienne avaient déjà sonné trois fois à une coquette villa de Saint-Cloud lorsque Crincrin, le domestique, vint ouvrir pour dire que M. Dagrier, son maître, était à Paris, chez le ministre.

— C’est pour l’affaire de l’appareil dont parlent les journaux, vous savez bien ? expliqua-t-il.

Mme Cora Schlembung, qui ne savait pas, mais qui brûlait d’apprendre, déclara qu’elle reviendrait un autre jour. Tandis qu’elle reprenait avec sa pupille le chemin de la capitale, un petit vieillard à barbiche blanche, manchettes couleur de sa barbiche, lunettes cerclées d’or derrière lesquelles pétillaient des yeux chargés d’intelligence et d’enthousiasme, était reçu dans le cabinet de travail du ministère des Colonies par le ministre en personne.

— Si j’ai bien compris, articulait ce dernier, le grand savant que vous êtes, monsieur Dagrier, se double d’un éminent géographe. Non seulement vous venez d’inventer un appareil, l’« aurographe », qui permet de découvrir l’or, mais encore vous admettez qu’il existe dans l’océan Pacifique une île encore inconnue qui contient de riches gisements aurifères. Si je vous demandais d’entreprendre une expédition pour vérifier votre hypothèse, accepteriez-vous ?

— De grand cœur, rayonna M. Dagrier.

Le ministre, enchanté de cette réponse catégorique, raccompagna le savant jusqu’à la porte du cabinet. Rentré chez lui, le vieillard se heurta à Crincrin qui lui remit une lettre.

— Mon fils Jean ! s’écria l’inventeur qui reconnut tout de suite l’écriture. Que me dit-il ? Qu’il est toujours lieutenant au front… qu’il se bat chaque jour… qu’il compte obtenir bientôt une permission…

« Il me demande si j’ai enfin réalisé mon aurographe… Cher petit ! Mais oui !… Je vais lui répondre que c’est fait… je lui apprendrai du même coup quelles propositions flatteuses le ministre a énoncées…

M. Dagrier écrivit donc à Jean, le vaillant officier, une réponse que le jeune homme perdit au cours d’un assaut contre les Allemands sans se douter de quelles suites graves cette perte allait être suivie.

Cependant Mme Cora Schlembung, de retour à Paris, descendit seule de voiture, recommanda à Adrienne de rentrer rue de Rome, où elles habitaient, et se fit conduire en taxi chez un certain Thomas Larruet, rempailleur de chaises à Belleville, qui s’appelait en réalité Hermann Wachter et était un espion allemand essayant de se faire passer pour Alsacien.

— Je viens de Saint-Cloud, déclara-t-elle. Dagrier a réalisé son fameux appareil… C’est le moment d’agir…

Hermann Wachter se gratta la tête, puis une flamme mauvaise passa dans son regard.

— C’est bien, fit-il, j’agirai… Comptez sur moi…