Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/113

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Au milieu de la place d’armes, nous retrouvâmes le saint doré debout dans la charrette parmi tant de vaisselle. Son cœur de rubis avait été arraché du creux de la poitrine. Il dominait les bivouacs établis là. Il semblait les bénir de son geste saint ; deux doigts levés jusque son auréole. Comme ça… oui… comme ça ! " sur cette place, des femmes russes en jupons rouges vendaient cher des gobelets qu’elles remplissaient avec le kwass de leurs cruches, une sorte de bière aigre dont se contentaient les moins pauvres des soldats errants. Quelques-uns gardaient encore, passée dans la ganse du bonnet de police, leur cuiller d’ordonnance, leur cuiller d’étain, et, moyennant un rouble, des moujiks la remplissaient de vodka, amenée de loin en barils dans leurs traîneaux. Hors de la ville, le camp continuait. C’était la même suite de calèches, de cabriolets, de chariots, remplis de militaires engourdis entre les ballots, de blessés qui hurlaient sous leurs haillons. Je vis un homme qui ôtait les boyaux au ventre d’un cheval mort. Près de lui, des misérables attendaient la distribution de viande. Une femme le suppliait ; même elle se dégrafa, elle lui montra sa poitrine pour tenter… malgré l’épouvantable froid. Au loin, des cadavres d’hommes, dépouillés, absolument nus, gisaient sur la neige boueuse, autour de tisons éteints. Les corps étiques étaient bleus, les faces comme des abcès noirs et sanguinolents hérissés de barbe… plus les trois chevaux de la kibitka s’éloignaient des faubourgs, plus on rencontrait de ces malheureux, morts dans la nuit, de désespoir, de faim et de froid ; car toutes les foules avaient cru trouver à Smolensk des vivres, un abri. Il leur avait fallu reprendre la marche, sans l’espoir de finir leurs tourments ; et cette effroyable certitude les avait tués en grand nombre. " à trois lieues de la ville, au dépôt de l’artillerie de la garde, Augustin eut beaucoup de peine à me faire