Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/115

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mait contre l’empereur, qui n’avait rien prévu des hasards d’une pareille campagne. Maman Virginie nommait Jésus. La tante Malvina recommençait les phrases de son récit… Et, de nouveau, l’enfant imaginait cette foule de soldats piétinant au loin la neige russe, et mordant la chair crue qu’ils arrachaient du cheval avec les dents.

Ils peuplaient les cauchemars de ses nuits. Une fois, lui-même se croyait dans la viande d’une bête ainsi dévorée par l’oncle Edme, qui l’avait saisi dans sa charrette, et qui lui disait : « Mais oui, je te reconnais bien, tu es mon neveu, mon petit Omer Héricourt… Seulement, j’ai grand’faim. Ça m’attriste fort de te manger, mais il le faut… il le faut… prépare-toi à être mangé, mon petit Omer. Va, je ne te ferai pas de mal, pas de mal du tout… J’irai tout doucement… Ne pleure donc pas. Tu me fais de la peine… À quoi bon, puisqu’il faut que je te mange ?… » et le capitaine se pencha vers lui. Mais voilà les dents et la figure de l’ogre subitement… Omer se débattit. L’ogre disparut pour laisser place au triste visage de l’oncle, obstiné cependant à se repaître. Et cela prenait d’autant plus d’apparence véritable qu’il répétait sa promesse de ne pas faire mal, de s’y prendre très doucement, ainsi qu’il convient à un parent pitoyable. Cette répugnante aménité convainquit le dormeur d’une certitude. Et la tête de l’ogre encore remplaça celle du capitaine pour se pencher. Omer voulut crier. Il ne put. À l’issue de sa gorge contractée, aucun son ne vint. Toute sa chair se crispa sous la dent froide du monstre… Enfin, il put quasi beugler, se réveilla devant Céline en chemise, qui le touchait au front. L’ogre ou l’oncle n’étaient-ils pas dans la chambre ?…

Bien qu’il ne les aperçût point, il sanglota. Sa voix convulsive dénonça l’horreur du songe à la servante qui l’enleva des couvertures, mit sa joue contre la joue