Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/146

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de mouvements, et avec une fièvre !… des boulets vinrent s’amortir entre les roues, et ils ont enlevé la malle bouclée à l’arrière-train… un éclat de bombe a traversé le cuir de la capote… quelle nuit ! Les feux d’infanterie ressemblaient aux lueurs des éclairs livides, dans l’ombre, à l’horizon. Et le vent cassait les branches de la forêt. Elles tombaient sur la multitude des blessés étendus partout. Ils hurlaient alors sans fin… j’ai vu l’empereur pour la dernière fois, le lendemain, en prenant la route de Francfort. Il avait son chapeau sous le bras. L’air relevait les quelques cheveux qui lui restent de sa mèche, et qu’il applique d’habitude contre le front… ils flottaient tout droits en haut de son énorme crâne pâle et nu, pendant qu’il se frottait les mains devant le feu de bivouac allumé au bord du champ… quel spectacle ! Le maître du monde, tassé, vieilli, trop large dans sa redingote étroite… et ruminant la fureur contenue qui le forçait, par dérision, à siffler… il n’avait plus que l’allure d’un petit bourgeois engoncé… il battait le sol de la semelle, son chapeau sous le bras… il sifflait l’air : " bon voyage, Monsieur Dumollet ! " comme s’il se moquait de lui-même, en s’appliquant les paroles de la chanson. Ma chaise s’était arrêtée dans un embarras d’artillerie. Je restai une bonne demi-heure à la même place. Toute la garde défilait à gauche de la route. Lui la regardait avec l’intelligence profonde de son œil ; et il se frottait encore les mains ; et il haussait les épaules ; et il sifflait… le prince de Wagram, ni le duc de Bassano, qui s’entretenaient à quelques pas, n’osèrent lui parler… je me rappellerai ça !… et la garde piétinant, ses uniformes enduits de boue, ses tambours au dos, ses aigles à l’épaule ; les blessés grognons ; les sergents sévères ; les têtes grises des vétérans salis de poudre et de crotte. Et lui, lui qui sifflait, qui sifflait tout le temps : " bon voyage, Monsieur Dumollet ! " j’ai encore les