Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/156

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saluaient Céline. L’un voulut danser, les bras en l’air, et tourbillonna sur les orteils. Un autre gigotta vis-à-vis. Crinières flottantes, les deux sauvages heurtaient le sol du talon, projetaient en dehors la pointe du pied, faisaient claquer leurs doigts noirs. Dans un coin gémit un accordéon dépaqueté. Aussitôt ils se battirent la poitrine en mesure. Leurs petits yeux étincelèrent. Deux couples prétendirent sauter en cadence. Et une âcre odeur de transpiration émana.

Omer s’amusait, à l’exemple de sa nourrice. Les barbares bondissaient, choquaient leurs paumes en mesure, criaient, bramaient et barrissaient, en proie à un délire bonasse :

― Vodka ! Vodka ! ― répétaient-ils en simulant le geste qui porte vers les lèvres un verre à boire.

Quelques-uns fermèrent la porte bâillant sur la cour ; ils se bousculaient, sournois, hilares, prêts à une farce. Céline voulut alors entraîner l’enfant. Il résista, curieux de ce que méditaient évidemment les gaillards dans un conciliabule coupé d’interjections et de bourrades réciproques.

Les couples dansaient toujours selon le rythme haletant de l’accordéon que manœuvrait un garçon noiraud. Les pieds nus battaient la terre. Les loques de couleur volaient autour des hanches où les poings se plaçaient. Les corps se balancèrent au milieu d’un cercle d’amis approuvant de la voix leur ensemble. Mais s’approchèrent, humblement ricaneurs, deux compagnons trapus, celui-ci en chemise rouge, celui-là en chemise verte. Leurs sourires doucereux et malins s’adressèrent à Céline : vers elle ils penchaient leurs mufles avides. Un troisième, haut et maigre, dans un habit incolore fourré de mouton, toucha la poitrine de la nourrice avec sa main hérissée de poils roux. L’homme à la chemise verte empoigna Céline aux deux bras, et lui appliqua sur le cou un baiser. Elle se débattit.