Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/278

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dans les salles des mairies. Il suffit que le vétéran de Napoléon, tenancier du tourne-bride, aille fumer sa pipe sur le banc extérieur, surveille la trace éblouissante du chemin et les feuillages poussiéreux des haies… car il faut toujours se méfier du rustre qui entre pesamment, retire son bonnet de coton roux, secoue les miettes prises dans les petits boutons de porcelaine historiant les coutures de sa blouse, et demande, d’un ton bourru, le " vin à quatre sous ". Muet, indolent, il écoute : le curé apprendra sous quelle enseigne les brigands de la Loire se réunissent pour méfaire contre le gouvernement de la sainte congrégation. Aux ruses des conspirateurs le jeune homme se complaisait, comme à des scènes de théâtre, sans penser que les rôles pussent devenir un jour plus actifs. La tante Cavrois haussait les épaules au récit de toutes ces manigances, et n’y croyait point, encore qu’il ne lui eût pas déplu de voir les Bourbons en un mauvais cas. Elle se plaignit de l’arrogance des fonctionnaires royalistes qui la faisaient attendre dans les antichambres de la trésorerie, la toisaient, feignaient de ne point la reconnaître. Les intendants de l’empire la tenaient en meilleure estime. Elle se lamentait d’être remise en l’état de roture par tous ces fils d’émigrés qui, d’ailleurs, " ne comprenaient rien à rien ". Elle frottait ses grasses mains blanches, avec son geste de les savonner indéfiniment ; et, ainsi, concluait ses plaintes. Rassuré par cette indifférence, son neveu ne se lassait pas de suivre le demi-solde qui, pour le garantir contre les sentiments de Corinne, lui dévoilait les mille et une frasques de la dame, de sa fille, puis le conduisait à d’autres amours. L’adolescent ne rechercha point d’autres compagnons. Peu de sympathie l’attachait à Dieudonné Cavrois, inerte liseur de Plutarque et de la biographie Michaud.