Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/287

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Il le pensa : une ivresse religieuse emplit son cœur palpitant. Le ciel pur lui semblait frère.

Une brise lente balançait les grains oblongs pendus en haut des tiges. De leurs vols brisés les hirondelles rayèrent l’azur en tous sens. Aux branches d’un arbre, deux oiseaux essayaient des trilles ; et, de tous les sillons, dans la plaine, les cigales invisibles, aussi nombreuses que les peuples successifs des histoires, acclamaient l’heure éclatante.

Alors une voix de la Goguette lui parvint qui chantait :


Te souviens-tu de ces jours trop rapides,
Où le Français acquit tant de renom ?
Te souviens-tu que sur les Pyramides
Chacun de nous osa graver son nom ?
Malgré les vents, malgré la terre et l’onde,
On vit flotter, après l’avoir vaincu,
Notre étendard sur le berceau du monde ;
Dis-moi, soldat, dis-moi, t’en souviens-tu ?


Et la mâle sincérité de l’hymne monta, dans l’air, comme la gloire d’une aube.

Ainsi toute la terre continua de chanter pour Omer. Chaque jour, des couplets nouveaux sortaient du buisson, s’évadaient par les fenêtres des chaumières, signalaient de loin les lignes des moissonneurs. Dans les cœurs des vétérans, la patrie républicaine se réveillait à la splendeur du soleil estival. Partout l’appelait l’âme du père tué par la foudre des tyrans.

Au nom de ce souvenir, un matin, dans le salon des Moulins Héricourt, Omer fut complimenté par le major Gresloup, large d’épaules, en habit brun que gonflait la courbe de l’estomac. Sa figure rasée, blême, entourée de mèches folles et rares sous le chapeau de castor gris, se crispait sévèrement vers les sourcils. L’oncle Edme cria :