Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/335

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du discours devant les cinq poulardes tournant sur la broche contre les hautes flammes d’or. Le vin mousseux d’une bouteille débouchée par le mari pétilla sur les langues. Omer se grisa de mots. Il décrivit les batailles de son père, prodigieusement ; il les accompagna de gestes propres à sabrer les invisibles escadrons des monarques. Cela le gêna qu’une servante étendît la nappe, disposât les assiettes à coqs de couleur, entre les phrases, qu’elle mêlât le tintement des verres et des fourchettes au bruit des métaphores.

Le gros monsieur coiffé du bolivar prêtait une oreille bienveillante, dans son coin. Après quelques attitudes de stupeur, le prêtre alla prendre l’air sur le seuil ; la vieille femme caressa son chapelet en plissant les rides de son front ; la jeune fille du coupé et le vieux gentilhomme sourirent : leurs mines ironiques se regardaient. Le Rémois trinquait avec les trois marchands et l’hôte, dont ils plaisantaient ensemble le gilet à ramages, la panse en tablier de toile, et la trogne violacée.

Malgré tout, la compagnie entière écoutait le jeune homme. Sa nouvelle personnalité de causeur ne l’étonnait pas moins qu’elle n’étonnait les gens. C’était la naissance inattendue de sa hardiesse. Supérieur tout à coup à la société de la diligence, il s’attribuait le droit de la convaincre et de la soumettre à son esprit.

― Paraît que c’est le neveu d’un pair de France ! ― entendit-il murmurer non loin de lui, par la servante, devant la table de la jeune fille en robe marron.

Marchands et commis-voyageurs cessèrent de prodiguer leurs calembours afin de mieux comprendre. Aux instants où sa voix s’arrêtait pour boire, car l’éloquence sèche la langue, Omer n’entendait rien que l’attention du silence. La veille, cela l’eût intimidé follement. Il fût demeuré court. À cette heure, au contraire, les souvenirs de mille idées déclamatoires se pressaient en lui pour se vêtir à la hâte d’adjectifs, de phrases, de sons,