Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/344

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manteaux noirs ouverts sur la croix de Malte de leurs robes en bure jaune. Ombres majestueuses, effacées par l’étamine des voiles noirs aussi, elles semblèrent chanter de très pures douleurs. Omer les vénéra pour ce qu’il savait de leur dévotion à la règle de l’ordre. Son esprit n’estimait rien tant que cette discipline, grâce à quoi l’Église pouvait reprendre la domination du monde. Il admirait ces êtres, instruments volontaires d’un seul esprit dogmatique.

Malgré le soleil, les religieuses parurent des fantômes qui allaient, se survivant, des squelettes qui cachaient les ossatures de la mort sous l’ampleur du costume monastique, sous l’application des voiles aux contours tondus des crânes. Elles étaient bien plus effrayantes que les carmes déchaux qui leur donnaient le répons, foule d’hommes trapus en frocs, rasés à la tête sauf le bourrelet de cheveux, couronne de leurs physionomies hâves et touffues de barbes. Ceux-ci s’acheminaient, innombrables. On n’entendit longtemps que le cliquetis des chapelets pendus à la corde ceignant leurs reins. Ce bruit étouffait même la cadence des pas militaires frappés par les files de voltigeurs, qui, l’arme au bras, encadraient le cortège de leurs uniformes cuirassés de galons.

Au milieu des moines, la confrérie de la Bonne Mort haussait sa bannière. Enfant, Omer l’avait crue peinte avec les liquides mêmes échappés à la putréfaction de corps ensevelis. Pour représenter les pécheurs tordus dans les volutes des flammes, un artiste ancien de la cruelle inquisition avait usé d’atroces tons violâtres, ocres, sanguinolents, glaireux, pourris et blafards. L’image s’inclinait avec le drap funéraire dont elle occupait le centre. Cela cachait la queue du cortège déroulé, grouillant, uni par les stances d’un même psaume que dix mille voix soupiraient entre les alleluias des cloches.