des vingt-deux inspecteurs provinciaux : je visitai les philosophes, et je liai mon sort au leur.
« Hormis cette passion, je ne connus que les aventures de relais. Dès lors, et jusqu’en 1794, ma vie s’est passée dans les boues de toutes les routes. J’ai plus dormi sur les coussins des chaises de poste que dans les draps frais des lits. L’impatience m’a rongé l’âme sur le grabat des prisons. J’ai déjoué les embûches de toutes les polices, et défendu à coups de pistolet contre les hussards de l’Électeur, au milieu de la forêt noire, certains papiers de l’illuminisme qui, si j’eusse succombé, auraient offert à la justice des tyrans le prétexte d’abattre les têtes par centaines. À ce jeu, je dissipai presque tout le bien que m’avait légué une chère épouse. En 1790, la vieillesse commençait à pâlir ma figure ridée par les grimaces habituelles aux cavaliers qui clignent de l’œil contre le soleil, la pluie, la bise. À mes tempes, autour de mon front, les cheveux manquaient en bon nombre déjà. La poudre de mon catogan blanchissait mes épaules voûtées. Mais comment se reposer à l’heure où les tyrans lançaient de toutes parts leurs sicaires à l’assaut de la République ?
« Et puis je n’avais point une confiance extrême dans le fils de l’avocat d’Arras. Au club des Jacobins, la voix grêle et mielleuse de Robespierre m’incommodait. J’aurais soutenu que cette vertu sournoise visait à la tyrannie. Je ne m’accoutumai point à l’humilité feinte, ni à la froideur du personnage retiré dans son habit bleu, ni au balancement de ses jambes en bas blancs et en culottes jaunes, ni à sa hauteur impertinente, ni au perpétuel chagrin de son visage maigre entre les ailes de pigeon d’une coiffure roide. Dès que je le vis subjuguer les Jacobins, je me repris à fréquenter assidûment chez les Amis de la Liberté, chez ceux de Guillaume Tell, et chez les six frères de Saint-Louis